Monday, September 19, 2016

Les mots pour le dire: construction d'une identité

Les Mots pour le dire est un roman autobiographique de Marie Cardinal.  Écrit à la première personne, il raconte la maladie physique de Cardinal ainsi que sa descente dans la folie, ses séances chez le psychologue, et les souvenirs relevés par le processus de l’analyse qui aident la narratrice à déconstruire sa fausse identité pour en créer une de nouvelle.  Le roman est rempli de détails sur le corps, ce qui le rend très réaliste et qui le sépare des autobiographies traditionnelles en ayant une narratrice incarnée au lieu d’une qui ne réside que dans le monde de l’esprit. 
En parlant au psychologue et en écrivant sur ses expériences, Cardinal est capable de déconstruire la fausse identité « correcte » et « féminine » imposée sur elle par la société et par sa famille bourgeoise.  Cardinal décrit cette fausse identité ainsi : « Jour après jour, on avait fabriqué : mes gestes, mes attitudes, mon vocabulaire.  On avait réprimé mes besoins, mes envies, mes élans, on les avait endigues, maquillés, déguisés, emprisonnés » [1]  Ainsi, elle a refoulé les parties de son caractère qui ne siéent pas à une jeune femme bourgeoise. Ce refoulement de sa propre identité pour plaire à sa mère et à la société est la source de ses maladies physiques et mentales.      
À travers les séances de l’analyse et grâce à l’écriture, elle devient capable de reconnaître toutes les facettes refoulées de son caractère, de les mettre à lumière et de les concilier avec les autres parties de sa personnalité.  Evelyne Ledeux-Beaugrand écrit sur la façon dont la nouvelle identité de la narratrice, en tant que femme et algérienne, subvertit la notion de la binarité en occupant ce que Bhabha appelle un tiers espace :   

Le tiers espace selon Bhabha rend possible l’émergence de nouvelles positions qui échappent à la dualité.  Toujours selon Bhabha, l’importance de l’hybridité n’est pas de faire naître une troisième position de deux positions déjà existantes, mais plutôt d’ouvrir un tiers espace où  pourront naître de nouvelles identités.[2]

Le récit du roman est fragmenté, ce qui reflète la confusion chez la narratrice causé par sa maladie.  Cette fragmentation semble également inviter le lecteur à occuper une place au premier rang pendant que la narratrice fait le processus de l’analyse pour se comprendre en mettant en place les morceaux du puzzle composé de ses souvenirs.    
On remarque aussi les images des liquides : le sang pendant la maladie de la narratrice, la morve, l’urine, les eaux de l’accouchement, et  les larmes, incluant les images de la mer vers la fin.  Il est possible que ces images soient des symboles des émotions dans l’inconscient de la narratrice, surtout dans la scène vers la fin de son processus de l’analyse, où elle songe à inviter son mari à nager avec elle dans les vagues.  Dans cette scène, c’est comme si, après avoir reconstruit sa vraie identité, elle invite son mari à voir complètement ses émotions et toutes les facettes de son caractère réel.  




[1] Cardinal, Marie.  Les Mots pour le dire.  London: Bristol Classical Press, 2009.
[2] Ledeux-Beaugrand, Evelyne.  « La folie comme lieu de métamorphose dans Les Mots pour le dire de Marie Cardinal ».  Metamorphoses : reflexions critiques sur la littérature et la langue et le cinéma. 0101 (2002) : 93-104.